Prix Médiatine '18, 23.02 - 15.03.2018

Balthazar Blumberg, Alexis Choplain, Edoardo Cuccarelli, Céline Cuvelier, Julie Deutsch, João Freitas, Adèle Gratacos, Berten Jaekers, Lucie Lanzini, Côme Lequin, Mégane Likin, Léa Mayer, Diego Miguel Mirabella, Alix Nicolas, Benjamin Ottoz, Anna Raimondo, Charles-Henri Sommelette

La Médiatine, Brussels, Belgium

Untitled, 2016 — Varnish, plywood (stripped) — 182 x 122 cm

Untitled, 2016 — Varnish, plywood (stripped) — 182 x 122 cm

The time we shared, 2015-2017 — Found poster (sanded) — 132 x 112 cm

Don’t you fade away, 2017 — Found poster, rain, residues (fragmented & scratched) — set of eight frames, each 35 x 26 cm

Si João Freitas, né en 1989 au Portugal et ayant déménagé dès sa petite enfance au Luxembourg, a été formé à La Cambre à Bruxelles au dessin, il a dès la fin de ses études troqué les outils traditionnels du dessinateur pour la pointe sèche, le cutter, le chalumeau, les ciseaux de sculpteur ou encore la ponceuse. C’est que chez lui, le papier n’est plus un support mais une matière à traiter dans ses trois dimensions. Une matière qu’il s’agit de gratter, de creuser, comme un archéologue ôtant délicatement des couches de sédiments pour dégager une trace du passé. Ainsi les huits éléments de Don’t you fade away, sont les restes des huits feuilles de format A4 (en réalité sept, l’une étant trop abîmée, restée collée au trottoir, mais rappelée ici par un cadre vide) qui ont constitué un jour une grande affiche dessinée et assemblée à la main. “J’ai trouvé cette affiche dehors sous la pluie, explique João Freitas. Elle était toute repliée, imbibée d’eau, avec certains morceaux qui volaient sous l’effet du vent. Je l’ai prise et ramenée sans trop savoir pourquoi, juste parce qu’elle m’avait attiré. Ce déchet sauvé de la décomposition est resté chez moi dans cet état plus d’une année, avant que je me dise: “c’est ça qu’il faut en faire!”. Avec la patience d’un bénédictin, l’artiste a décollé les bandes adhésif et a gratté le dos à la pointe sèche - utilisée tradi- tionnellement pour la gravure en taille douce -, d’un geste répétitif, depuis le coin supérieur gauche jusqu’à l’inférieur droit, comme une écriture révélant le blanc originel de la surface et les encres de couleurs qui s’y ont éré apposées. Le même processus de révélation par soustraction a été appliqué par João Freitas à du papier de verre, ponçant ce qui sert à poncer pour retirer le sable abrasif et retrouver le papier, passant de cette façon du noir au bleu. Mais le papier n’est pas l’unique matière sur laquelle s’acharne João Freitas. Sa logique l’amène à travailler des matériaux pauvres, produits en masse, liés au papier parce qu’ils en sont à l’orginie (le bois) ou parce qu’ils en dérivent (le carton). Il s’est attaqué à des grands panneaux de multiplex, qui lui avaient montré par accident les secrets de leur fabrication, censés rester cachés et ici mis en valeur par une couche de vernis. Avec des ciseaux de tailleur, l’artiste a fait sauter la couche supérieure de parure. Le contreplaqué a alors libéré sa couleur artificielle - vert, rose flashy...- produite par la réaction du bois avec la colle de résine, et la multitude de morceaux pressés l’un contre l’autre qui en constituent l’intérieur.

Et que penser de cette mystérieuse surface où se mêlent le noir et l’argenté, dessinant des motifs irréguliers qui de loin pourraient passer pour une décoration végétale baroque? Il s’agit pourtant d’une matière typiquement contemporaine, des plaques d’emballage Tetra Pak, servant à conditionner les boissons, en particulier le lait. En l’examinant de plus près, on peut même voir les pré-perforations qui serviront d’ouvertures pour le bouchon des briques. L’artiste s’est servi de la chaleur d’un chalumeau pour faire fondre la couche d’aluminium, qui prend ainsi des formes impossibles à maîtriser. Car quoi qu’il arrive, c’est la matière qui impose ses lois à l’artiste, dans des effets aléatoires. João Freitas a versé de la poudre de graphite -l’essence même de la mine des crayons de dessin - dans une boîte de mouchoirs jetables, qu’il a sortis un par un, l’un dégageant l’extremité du suivant. Chaque mouchoir s’est ainsi retrouvé recouvert d’un dessin, sans que Freitas n’ait pourtant “dessiné” le moindre trait. Là où il se trouve sans doute le plus proche de sa discipline de formation, c’est lorsqu’il recouvre totalement au crayon le recto et le verso d’une feuille de papier journal. Un geste répété pendant des heures, jusqu’à ce que la surface se transforme, perdant en pulpe de papier ce qu’elle gagne en minéralité. Une fascinante alchimie.

Estelle Spoto